31 août, 2020

PORTRAIT DE FORESTIER #6 Raphaël Chain

La forêt n’attend pas le nombre des années

A 27 ans, cet entrepreneur parisien a pris en main la forêt familiale située entre Picardie et Champagne. S’il existait une école pour les jeunes propriétaires, il pourrait y enseigner la bonne méthode d’appropriation...

Quand on discute forêt avec Raphaël Chain, les mots «nature», «découverte», «pérennité», «implication», «chance» et «devoir» reviennent souvent dans la conversation. On sent une grande conscience de la mission qu’il a endossée à l’âge de 27 ans. Son père décédé prématurément, Raphaël a pris en 2015 les clés de la forêt familiale, une évidence sur le plan affectif. « Mon père a réussi à partager avec moi son amour de la forêt, il en a eu le temps, plus qu’avec mes autres frères et sœur. Ceci explique probablement pourquoi je manifeste un intérêt plus marqué. J’ai passé mon enfance à nettoyer les allées avec un petit gyrobroyeur, à travailler au croissant, à tailler des peupliers. J’ai fait les moissons pendant une dizaine d’étés dans la ferme attenante à la propriété et je chasse. L’environnement était favorable.» Intellectuellement, la transmission présentait un certain nombre d’inconnues. Devenir à moins de 30 ans responsable d’une propriété bâtie de 240 hectares n’est pas une mince affaire. Nous sommes à une heure et demie de route de Paris, au sud de l’Aisne, entre Picardie et Champagne. 160 hectares de terres agricoles sont gérés en fermage. S’y ajoutent 80 hectares de forêt que Bruno, le père de Raphaël, avait entrepris de rajeunir par plantations. Il avait prévu de s’impliquer davantage à l’heure de la retraite, il n’en a pas eu le temps. Le temps, c’est probablement ce qui fait le plus défaut à Raphaël. Aurait-il le temps de s’occuper du domaine ?

Une forêt vivante et pérenne

Le jeune entrepreneur et père de famille aime les défis et il s’est mis au travail avec méthode. «Je suis passé par plusieurs phases d’apprentissage», se confie-t-il en dressant le bilan de ces quatre premières années. « J’ai d’abord voulu comprendre pour m’approprier la gestion forestière. Cela m’a pris deux ans avec une aide précieuse de la coopérative locale, la Coforaisne, qui avait une relation de longue date avec mon père. Elle a pris le temps de m’expliquer la forêt et les actions qui y étaient entreprises ou à entreprendre.» Puis vint le temps de la réflexion, préalable aux premières décisions. « J’ai pris conscience de ce que je souhaitais faire de cette forêt, comment la gérer au regard de mes capacités d’implication. Mon père avait engagé des travaux en tenant compte de son implication future, ce qui n’était évidemment pas dans mes possibilités.» La troisième étape a découlé naturellement de ce processus : trouver les personnes capables de l’accompagner vers plusieurs objectifs : Raphaël voulait une forêt vivante, entretenue, rajeunie et pérenne. Conscient de ne pouvoir lui consacrer qu’une à deux journées par mois, le jeune homme s’est tourné vers un gestionnaire professionnel indépendant, un technicien de son âge exerçant dans la grande région parisienne. Le courant est passé instantanément. Raphaël a remis en toute confiance un double des clés à Loïc Zellvegre : « Il me représentera pour toutes les actions à réaliser.» Et le travail ne manque pas : des actions structurantes comme la création d’une place de dépôt à la gestion fine qui consiste à favoriser la régénération du chêne sous les semenciers. Car le gestionnaire a initié le propriétaire à la sylviculture irrégulière. «Je l’ai invité à m’accompagner sur le marquage d’une coupe d’amélioration afin qu’il comprenne le travail réalisé au profit des arbres d’élite, témoigne le gestionnaire. Nous parlons désormais le même langage.» Raphaël confirme: «Nous avions touché du doigt cette gestion avec mon père qui était du genre à laisser faire les choses de manière naturelle plutôt que d’introduire des essences n’existant pas sur la propriété. Avec Loïc, j’ai aussi réalisé que je dois prendre des décisions avec mon implication. On peut décider de favoriser la régénération naturelle, mais qui va nettoyer à la main les petites poches de chêne ? Moi, je n’ai pas le temps. Je dois faire appel à des professionnels et je me constitue un carnet d’adresses de personnes de confiance travaillant proprement. »

A cheval entre ville et campagne

Pas question pour autant de délaisser la coopérative qui aura elle aussi son rôle à jouer sur la propriété. «On ne veut pas être en rupture avec la coop, nous avons simplement choisi un fonctionne- ment différent. La Coforaisne, qui nous a toujours beaucoup aidés, sera sollicitée pour les grandes coupes et la plantation de peupliers. En fin d’année, nous allons planter trois à quatre hectares et la coop va évidemment être consultée. » Au cours de ces quatre premières années, Raphaël Chain a également avancé dans la compréhension globale des enjeux forestiers. En 2018, il a rejoint l’association Forêt Sphère qui réunit, lors de moments conviviaux, des propriétaires ou futurs propriétaires de moins de 40 ans. « J’y ai trouvé une capacité à mieux comprendre la filière, ce mot abstrait qui ne me parlait pas. Désormais, je connais les acteurs, les institutions et les organismes, privés et publics.» Les réunions adaptées aux emplois du temps parisiens ont favorisé la rencontre de propriétaires confrontés comme lui à la reprise en main d’une forêt, et son premier Fogefor est programmé cet auto- nome. «Globalement, ces échanges m’ont permis d’augmenter mes connaissances et, à partir de cette découverte, j’ai pu me dire: “Voilà quel propriétaire forestier j’ai envie d’être, en fonction des valeurs que je veux véhiculer.” C’est une chance inouïe de posséder un grand espace de nature à moins de deux heures de Paris... » Raphaël va vivre à cheval entre ville et campagne. Il l’accepte. «Cet endroit m’aide à supporter Paris. J’ai un besoin quasi vital de m’y rendre pour être au calme, entendre les faisans chanter, voir des animaux, observer la forêt et... réfléchir aux travaux futurs.»

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